Paris des années 1850-1880


Paris, en ce milieu du XIXème siècle, devient la « Capitale du siècle », elle est en pleine effervescence tant au niveau démographique que social et économique, la Révolution industrielle déployant ses ailes.

Portée par la conquête ferroviaire et les grandioses travaux du préfet de la Seine, le baron Georges Eugène Haussmann, la France passe peu à peu du modèle traditionnel fondé sur l’agriculture vers une société plus industrielle et commerciale.

Paris, ville insalubre, avec ses petites rues étroites, se métamorphose peu à peu en « Paris, cité souveraine » pour Emile ZOLA, grâce aux transformations effectuées entre 1853 et 1870. Ces grands travaux du Second Empire concernent les rues et les boulevards élargis, la création de nouveaux quartiers, des espaces verts, des places, des gares, les égouts, les réseaux d’adduction d’eau, des équipements divers et de nouveaux monuments publics prestigieux dont l’Opéra Garnier. C’est l’apparition de l’immeuble haussmannien. 

« C’est le grand Paris monumental qui naît à ce moment-là ». L’exposition Universelle de 1867 représente l’apothéose du règne de Napoléon III avant les périodes sombres de la guerre franco-prussienne de 1870 et de la Commune de 1871.

Gustave Caillebotte : Le Pont de l’Europe. (1876)

Cette modernisation se traduit en art par les œuvres des peintres tels que Gustave Caillebotte peignant le Pont de l’Europe ou Paris par temps de pluie, Claude Monet avec son tableau de la gare Saint-Lazare ou Camille Pissarro reproduisant la perspective du boulevard Montmartre et du boulevard de l’Opéra. Par ces grands travaux, Napoléon III veut lutter contre l’entassement de la population dans le Centre de Paris (principal lieu de vie des Auvergnats de Paris), améliorer les conditions de vie et d’hygiène, afin de lutter contre les épidémies et ainsi attirer encore plus de population dans Paris.

Les grands travaux du baron Haussmann. Paris au XIXème siècle.

 

Camille Pissarro : « L’Avenue de l’Opéra ». (1898)

 

La révolution industrielle entraîne avec elle un exode rural massif car elle nécessite une main d’œuvre nombreuse. Les hommes seuls partent d’abord, pour louer leurs bras, suivis par les femmes, souvent domestiques.

A partir de 1865, les migrants misent sur l’instruction car ils souhaitent se destiner au commerce et pour cette activité, il est nécessaire de savoir compter, lire et écrire.

C’est ainsi qu’entre 1845 à 1848, la population parisienne passe de 600000 à 950000 habitants. En 1850, Paris atteint un million d’habitants dont les 2/3 viennent de la Province.

Les migrants affluent du Pays, passant de 75000 à 100000 personnes.

Si la population parisienne croît très vite au milieu du XIXème siècle c’est notamment parce que ¾ des Lozériens ne possèdent pas assez de terres pour vivre et que la démographie explose aussi en terre auvergnate (6,9% des familles lozériennes ont 7 enfants et plus) avec pour conséquences, la pauvreté très prégnante en Haute Lozère, la précarité et l’errance.

Les mécanismes de succession inégalitaires malgré le Code Civil de 1804 favorisent encore cet exil vers la Ville car la propriété revient à un héritier unique et les autres enfants, nombreux, doivent chercher ailleurs, les moyens de vivre.

Dans les campagnes, le passage des aiguiseurs, colporteurs, marchands de toile, chiffonniers appelés « peillarots » ouvre aussi une voie, un espoir vers un avenir ailleurs, vers la ville.

Vers 1850, la courbe du peuplement en Lozère est à son maximum au moment de la crise de la pomme de terre et de l’effondrement des cours du seigle et de l’avoine. La Lozère se dépeuple alors, notamment entre 1836 et 1861 au profit de Paris qui absorbe 38% des émigrés lozériens.

Les Lozériens, le plus souvent de jeunes adultes, quittent leurs maisons traditionnelles : « l’Ostal », « d’une rudimentaire simplicité » : blocs de granit massif aux toits de chaume puis, de lauzes, pour des logis aussi très modestes, voire vétustes, dans un premier temps, à Paris.

Outre les motivations socio-économiques, l’instruction et le service militaire, la tradition de migration joue également en raison de la force d’attractivité vers Paris qui incite les Lozériens, avec leur accent chantant, à se lancer à la conquête de Paris devenant « la première ville auvergnate ».

« L’émigration vers Paris constitue peu à peu un véritable mode de vie. Elle soulage les campagnes et épargne de nourrir tout le monde. » (Philippe ARBOS)

Les nombreuses constructions et les quartiers neufs sont de nouveaux réservoirs de main d’œuvre et les parisiens vont dépendre de tous ces migrants, d’abord temporaires puis définitifs, pour des besoins essentiels : l’eau, le lait, le charbon. Ces « sans-culottes » du Massif Central sont donc porteurs d’eau, laitiers-nourrisseurs, ferrailleurs, frotteurs de parquets ou bougnats…

« J’aime l’Auvergnat. Il est utile et agréable. Il manquerait s’il n’était pas là. Il porte le charbon, il sert la limonade, il écrit-Les Pensées-. Il libère l’Amérique… On lui doit la fourme à points bleus. Bref, il est agréable à vivre et instructif à fréquenter Saluez-le, Parisien, c’est votre père nourricier ». (Alexandre VIALATTE).

Gustave Caillebotte : Les raboteurs de parquet ( 1875)

C’est d’abord dans le quartier de la Bastille, lieu emblématique de la Révolution Française, au cœur du 11ème arrondissement, dans le triangle Lappe-Thiéré-Taillandiers que les migrants s’installent et partent à la conquête de Paris. Ils se regroupent mais ne s’enferment pas sur eux-mêmes. Ils s’insèrent avant tout grâce à leur travail infatigable, leur courage, leur conscience professionnelle, leur ténacité et l’esprit de solidarité qui les accompagne.

Du « temps de l’humiliation », vers 1840, on passe «au temps de l’action » après 1850

Les nouveaux arrivants dans la Capitale vivent plutôt en harmonie avec les parisiens même si l’ascension sociale est ardue, et le déracinement difficile à vivre car ils restent très attachés à leur terroir natal.

Peu à peu, à force de détermination, Ils prennent conscience d’eux-mêmes, de leur liberté, chassant le mépris de certains parisiens. Ils acquièrent l’esprit d’entreprise et une assurance indispensable pour faire des affaires, du commerce, créer des entreprises ou devenir fonctionnaires. Ils contribuent par leurs actions professionnelles à l’essor économique de la Capitale en plein changement.

Ce qui prouve l’intégration des migrants dans la population parisienne, c’est le taux élevé de mariages « mixtes » notable surtout entre migrants et parisiennes plus qu’entre migrantes et parisiens. Les migrants se marient 3 ans plus tard que les parisiens en 1820 et 2 ans plus tard en 1850.

Il est à noter que la majorité des charbonniers ou bougnats vient des cantons nord de l’arrondissement de Marvejols : Aumont-Aubrac, Fournels, Nasbinals, Saint-Chély d’Apcher, puis, des villes, la Margeride et le Mont Lozère. Les Cévennes et les Causses donnent peu de candidats au départ.

Un chroniqueur du XIXème siècle écrit : « sous une rude écorce, on voit poindre les qualités primordiales de l’Auvergnat : franchise, loyauté, ténacité, sobriété, propreté morale ».

Ils travaillent très dur mais se divertissent le samedi soir, dans les bals musettes au son du violon, de la vielle et de la cabrette puis, de l’accordéon, tout en dansant la Bourrée.

« D’la rue de Lappe à La Roquette, on parle encore patois, (signe de reconnaissance entre eux). L’samedi, c’est jour de fête. Dans les p’tits bals auvergnats ».

Parmi ceux qui sont entreprenants et qui ont un profil quelque peu atypique par rapport aux autres migrants, on peut citer un étudiant en droit, Hippolyte-Joseph RAMADIER, de Serverette. Le jeune lozérien voyage pendant plusieurs jours avant de rejoindre la Capitale. Pour se guider, il a en poche un guide : « le conducteur de l’étranger à Paris ». Il trouve dans la Capitale de l’entraide et de la convivialité avec d’autres émigrés dont l’abbé GAILLARDON, oncle de Théophile ROUSSEL (futur fondateur de l’Association Lozérienne). Il dépense plus pour s’habiller que pour manger et devient un vrai parisien, fréquentant les théâtres. Mais des problèmes l’empêchent de passer son examen de capacité en droit. Hippolyte-Joseph RAMADIER doit alors quitter définitivement « le pays de la sapience et du plaisir ». Il retourne en Lozère où la charge de notaire l’occupe jusqu’à son décès prématuré à 45 ans. 

Il y a aussi le réputé Baptiste PEZON, né en 1827 à Rimeize. Ce lozérien installe, en 1874-1875 sa ménagerie de cirque à Paris avec son célèbre lion Brutus qui a servi de modèle à Bartholdi pour le lion de Belfort dont la réplique en cuivre trône Place Denfert-Rochereau.

Le destin de Jean-François ROUX est singulier et accolé à celui de l’Association des Lozériens de Paris.

Dans l’ouvrage qu’il publia : « Jean Francesou : roman d’un petit berger », (1897), illustré, il raconte, en 111 pages, sa rude vie quotidienne en Lozère, en cette 2ème moitié du XIXème siècle et fait « œuvre de moraliste ».

Né le 8 août 1852 à Chabannes, près de Fontans, commune de Serverette, entre Margeride et Aubrac, il est le 5ème enfant sur 9, dans une famille pauvre ce qui oblige son père à le placer dès 5,5 ans chez un propriétaire-agriculteur pour garder les bœufs et aider ainsi à nourrir sa famille nombreuse.

« Jean Francesou : roman d’un petit berger par Jean-François ROUX (1897)

Durant l’hiver, il apprend chez une béate, qui éduque et enseigne la religion aux enfants, les rudiments de l’Evangile et du catéchisme. De vacher, il devient, en 1863, berger à Tiracols, dans la commune de Javols. Puis, il est placé dans la commune de Rimeize et étudie l’hiver avec l’instituteur des

Estrets qui lui enseigne, l’écriture. Dans son roman, le jeune François relate ses peurs du loup, de l’orage et des revenants, appréhensions présentes parmi la population, nourrie, au coin de l’âtre, lors des veillées, d’histoires surnaturelles et tourmentées.

Même si son père, scieur de long, ne veut pas laisser partir son fils à Paris où selon lui, « il serait malheureux comme les pierres », ce sont d’autres voix qu’il écoute.

« Il avait entendu conter par des propriétaires chez lesquels il avait passé comme berger ou bouvier et qui avaient fait leur fortune à Paris comme marchands de charbon… Qu’à Paris, on y était bien, qu’on y buvait du vin, qu’on y mangeait du pain blanc et de la viande fraîche et surtout qu’on avait toujours les poches de son gilet de velours bourrées de gros sous » … (Extrait de « Jean Francesou : roman d’un petit berger »).

Et c’est ainsi que mû par l’espoir d’un avenir meilleur, il quitte la Lozère, emmenant son plus jeune frère avec lui. Ils voyagent pour la première fois, en diligence puis, en train à vapeur, et au terme du périple. « Jean fut empoigné par une violente émotion en entendant crier : « Paris », à l’arrivée du train ». (Extrait de  « Jean Francesou : roman d’un petit berger »).

Suivant les quartiers, Paris lui paraît « triste ou gai Mais ces pierres entassées et sculptées, ces monuments élevés, ne disaient rien à l’esprit du campagnard… Il n’allait à Paris que pour travailler et gagner plus largement sa vie. Il pensait à un emploi de garçon charbonnier ou garçon marchand de vins ». (Extraits de « Jean Francesou ; roman d’un petit berger) ».

A Paris, le jeune Jean-François rencontre bien des difficultés et des déboires mais il fait face en s’instruisant. Dans l’Aisne, il devient instituteur-adjoint et obtient le brevet de capacité pour enseigner en 1880.

Il est satisfait d’être nommé instituteur à Paris : « il ne pensait qu’à s’instruire dans ses livres et à bien diriger sa classe. Zélé, laborieux, entièrement dévoué à ses élèves, il avait vite conquis l’estime de ses chefs ». (Extrait de « Jean Francesou : roman d’un petit berger »).

Epousant une parisienne comme un migrant bien intégré à Paris, il croise le destin de notre association puisqu’il participe au projet de fondation par le député républicain Théophile ROUSSEL de l’Association Lozérienne, première société d’originaires de la Lozère, le 21 juin 1800.

Jean-François ROUX devient premier vice-président en 1883, président entre 1886 et 1887 puis, président d’honneur de l’Association des Lozériens de Paris.

Nous voici donc aux portes de l’Association des Lozériens de Paris, ouvertes grâce au parcours exemplaire d’un migrant lozérien qui, dans son roman, a démontré qu’avec « du travail et une bonne conduite, on peut arriver sinon à la fortune, du moins à occuper une place honorable et utile dans la société » (Patrick CABANEL).

Josyane Delmas-Bouchard
avec l’aimable autorisation de Lou Païs

 

 

Bibliographie :

-Philippe BONNIN, Martin de la SOUDIERE, Martyne PERROT. – « L’Ostal en Margeride ». Centre régional de publication de Meudon-Bellevue. CNRS (1983)

 -Patrick CABANEL : « Nous, les maîtres d’école de la montagne : récits de vocation pédagogique » Faculté d’éducation de l’Université de Montpellier. Trema. L’Ecole rurale. (1997)

-Michel DURAND : « Ces Auvergnats qui ont fait Paris » (2002)

– « Le migrant » : France, terre de migrations interne. France : terre d’immigration. Actes du colloque (1985)

– « Les migrations en Languedoc méditerranéen : fin XIXème-début XXème par Jules MAURIN. Recherches régionales no 4 octobre-décembre 1981

-Christine PIETTE, Barrie M. RATCLIFFE : « Les migrants et la vielle : un nouveau regard sur le Paris de la première moitié du XIXème siècle. Annales de démographie historique (1993)

– « Populations et migrations de Lozériens : de l’Ancien Régime à nos jours ». Archives départementales de la Lozère (Juin 1993) Actes du colloque tenu aux archives départementales de la Lozère, les 20 e 21 août 1992.

-Françoise RAISON-JOURDE : « La colonie auvergnate de Paris au XIXème siècle (1976) Ville de Paris. Commission des travaux historiques

-Jean-François ROUX : « Francesou : roman d’un petit berger. Société française d’édition d’Art. L. Henry May (1897)

-Marc TARDIEU : « Les Auvergnats de Paris. Ed. du Rocher (2001)

-Site Retronews « Les Auvergnats de Paris »

-Association des Lozériens de Paris: www.lozeriens-de-paris.com  Tél:06  72 30 62 07